Axiomes et postulats de la Finance islamique
Quels sont les grands principes, les axiomes et les postulats de la Finance islamique ? Quels sont les 5 piliers et principaux principes de l’islam financier ? Comment démêler l’enchevêtrement des risques d’actifs dans les banques islamiques ? Quels sont les défis de la gestion actif-passif dans les banques islamiques ? En quoi la finance islamique peut-elle être un levier pour le développement et la lutte contre les inégalités ?
« Par l’âme et Celui qui l’a façonnée harmonieusement et qui lui a inspiré son libertinage et sa piété ! En vérité, l’homme qui purifie son âme sera sauvé » – Le Coran [Sourate 91, Le Soleil, versets 7 à 9]
Le but de la zakât (l’aumône purificatrice légale) est de réaliser l’équilibre et la justice sociale, d’empêcher le monopole de l’argent par les riches et encourager la circulation des biens.
Avec un encours total estimé à plus de 3 500 milliards de dollars, la finance islamique ne représente qu’à peine 2 % de la finance dans son ensemble. Autrement dit, son poids reste très marginal. En plus de cela, la finance islamique est essentiellement pratiquée dans les pays du Moyen-Orient qui représentent près de 70 % de son encours total.
Camus BOMISSO, FRM
Administrateur Indépendant – spécialiste de la gestion des risques et des processus stratégiques
Paris le 23 mars 2025
« Et tout Riba que vous donnez afin qu’il augmente dans les biens des gens, il n’augmente pas auprès d’Allah. » – Le Coran – Sourate Ar-Rum, verset 39.
Dans le Coran, la pratique du Riba ou des prêts à intérêt est prohibé.
La finance islamique se base sur des consignes religieuses pour favoriser la prospérité et le partage du risque. Ainsi, les bénéfices des parties-prenantes d’un contrat financier doivent tenir compte du risque encouru par chacun. Elle exclut par principe l’idée d’une rémunération fixe, déconnectée de la rentabilité de l’actif financé et considère que le fondement de la rémunération de l’argent placé est la rentabilité de l’actif ainsi financé et elle seule. C’est une des raisons pour laquelle le prêt à intérêt (riba en arabe) est prohibé, puisqu’il fait porter le risque, presque exclusivement, sur l’emprunteur.
Le but de cet article est de fixer le panorama de la finance islamique qui capitalise sur cinquante années d’existence en ce saint mois de mars 2025 du jeûne musulman de l’an 1446.
La démarche vise à apporter des réponses aux question suivantes (i) Quels sont les grands principes, les axiomes et les postulats de la Finance islamique ? (ii) Quels sont les 5 piliers et principaux principes de l’islam financier ? (iii) Comment démêler l’enchevêtrement des risques d’actifs dans les banques islamiques ? (iv) Quels sont les défis de la gestion actif-passif dans les banques islamiques ? (v) En quoi la finance islamique peut-elle être un levier pour le développement et la lutte contre les inégalités ?
@ Quels sont les grands principes, les axiomes et les postulats de la Finance islamique ?
La finance islamique existe depuis cinquante années et reste toutefois un secteur méconnu de la finance mondiale classique. Il y a encore quelque temps, la finance islamique connaît une forte progression depuis plusieurs années et représentait, en 2019, près de 2 400 milliards d’euros d’actifs à travers le monde ; il s’établit à plus de 3 500 milliards de dollars aujourd’hui.
Le terme finance islamique recouvre l’ensemble des transactions et produits financiers conformes aux principes de la loi coranique, qui supposent l’interdiction de l’intérêt, de l’incertitude, de la spéculation, l’interdiction d’investir dans des secteurs considérés comme illicites (alcool, tabac, paris sur les jeux, etc.), ainsi que le respect du principe de partage des pertes et des profits.
La Finance islamique base ses fondamentaux autour 5 axiomes et postulats qui gouvernent son action au quotidien :
– La monnaie est une mesure, un étalon de la valeur … pas une matière première, ni une valeur en soi
– La responsabilité face à la dette. Toute dette constitue une responsabilité … et ne peut donc faire l’objet d’un échange, d’une transaction
– La finance est au service de l’économie réelle, de la création de richesse… et pas une fin en soi, capable de générer une “inflation notionnelle”
– La promotion de la finance participative. L’Islam encourage la finance participative … en cela elle est “intéressée”, pas “désintéressée” ni “charitable” … mais elle ne repose pas sur une relation de créancier-débiteur
– Le partage des risques et des rendements. L’Islam encourage le partage des risques et des rendements … toutes les formes de partenariats sont valorisées
@ Quels sont les 5 piliers et principaux principes de l’islam financier ?
En matière financière et bancaire, ce sont les Conseils de Conformité à la Charia (Sharia Supervisory Boards, ou Sharia Boards) qui sont les gardiens de l’« islamicité » des pratiques, c’est-à-dire des produits et des process.
Dans les faits, les cinq piliers de l’islam financier contiennent 3 principes négatifs (-) et 2 principes positifs (+) :
– Principe n°1 (-): pas de “riba” (intérêt, usure);
– Principe n°2 (-): pas de “gharar” ni de “maysir” (incertitude, spéculation);
– Principe n°3 (-): pas de “haram” (secteurs illicites);
– Principe n°4 (+): obligation de partage des profits et des pertes ;
- Principe n°5 (+): principe d’adossement à un actif tangible.
Un conseil de conformité à la Charia valide le caractère islamique d’un produit financier ou d’une transaction financière. Les investisseurs et/ou consommateurs de produits financiers sanctionnent in fine leur caractère (suffisamment) islamique.
@ Quels sont les contours des deux principaux outils de la finance islamique : la murabaha et les sukuk ?
La murabaha est un contrat de vente aux termes duquel un vendeur vend un actif à un financier islamique qui le revend à un investisseur moyennant un prix payable à terme (vente à tempérament).
Les sukuk et les produits financiers assimilés sont des titres représentant pour leur titulaire un titre de créances ou un prêt dont la rémunération et le capital sont indexés sur la performance d’un ou plusieurs actifs par l’émetteur. Ces actifs sont affectés au paiement de la rémunération et au remboursement des sukuk ou des produits assimilés.
@ Quelles sont les limites et défis du modèle de finance islamique ?
La finance islamique ne gagnera ses lettres de noblesse et ne pourra accéder à une forme de reconnaissance internationale qu’à un certain nombre de conditions:
• Transparence: la lecture des comptes des banques islamiques est un exercice difficile tant les concepts et les termes employés sont étrangers au jargon financier standard; le contenu informationnel des états financiers est souvent pauvre.
• Gouvernance: les banques islamiques sont souvent actives dans des régions émergentes qui valorisent assez peu les bonnes pratiques de gouvernance.
• Gestion des risques: certains risques inhérents aux banques islamiques sont à ce point spécifiques qu’ils nécessitent une approche différente en matière de gestion des risques. Par exemple: le « risque commercial translaté » (entre liquidité et ALM « Gestion Actif Passif »)
• Comptabilité: il existe des normes comptables islamiques… appliquées de manière très hétérogène. De notre compréhension, il serait utile d’alignement tous les corps de règles en la matière.
@ L’enchevêtrement des risques d’actifs dans les banques islamiques : comment les décrypter ?
Il est souvent difficile de faire la part des différentes classes de risques dans un contrat de financement ou d’investissement islamique.
– Les risques opérationnels, juridiques et d’exécution sont nombreux. En effet, on reproche souvent aux banques islamiques la lourdeur de leurs procédures administratives et leur manque de flexibilité opérationnelle. De surcroît, les risques d’exécution des contrats sont plus élevés que pour de simples opération de débours de liquidité. Enfin, les effets de viscosité organisationnelle induits par l’insuffisante de flexibilité des process peut dilater le temps de réaction des banques islamiques, qui constitue aujourd’hui un avantage concurrentiel: les risques stratégiques s’en trouvent accrus.
– L’allocation d’actifs et gestion de la liquidité: à la fois contraintes et garde-fous. Toutes les classes d’actifs ne sont pas éligibles à la « Charia-compatibilité », ce qui constitue tantôt une insuffisance, tantôt une chance… (i) une insuffisance, en effet, le rétrécissement des classes d’actifs éligibles crée des risques de concentration; le continuum de liquidité des actifs n’étant pas linéaire, les banques islamiques ont tendance à être moins liquides, mais plus rentables; la gestion dynamique des actifs de bilan est (presque) impossible. (ii) une chance, en effet, par définition, les banques islamiques ne peuvent pas octroyer de crédits subprime, ni porter des expositions à effets de levier (via un endettement surdimensionné), ni acquérir de produits structurés risqués, ni investir dans des instruments re-packagés manquant de traçabilité.
– La « collatéralisation naturelle », un atout des banques islamiques. En effet, les banques islamiques sont souvent assimilées à des marchands de biens; par conséquent, leurs sûretés sont en général robustes. Le fait d’être impliquées dans des transactions commerciales sur actifs tangibles n’a pas que des inconvénients pour les banques islamiques. La collatéralisation des portefeuilles de crédit est souvent plus robuste que pour les banques conventionnelles. L’accès aux sûretés est souvent contractuellement plus facile; le juge peut difficilement les contester.
– La réduction de la charge en risque. En matière de calcul des charges en fonds propres économiques, les bénéfices dérivent de la réduction des expositions à risque (exposures at default).
– La visibilité sur l’allocation des fonds. Enfin, en matière de gestion des risques, les banques islamiques ont en général une meilleure visibilité quant à l’allocation économique de leurs fonds vers les actifs financés.
@ Quels sont les défis et les difficultés de la gestion actif-passif dans les banques islamiques ? Quelles sont les limites d’un refinancement déséquilibré ?
En général, les banques islamiques sont bien enracinées dans le marché des particuliers: les ressources ainsi drainées sont granulaires (diversifiées) mais de maturité courte, ce qui nourrit les risques de différentiels de maturité. Les autres ressources, essentiellement des dépôts interbancaires et des dépôts de la clientèle corporate, sont en général concentrées, parce que les banques islamiques sont encore petites.
Raison pour laquelle les sukuk sont une ressource alternative de plus en plus populaire auprès des banques islamiques: maturités plus longues + granularité.
D’une manière générale, les continuums de refinancement des banques islamiques demeurent déséquilibrés: peu de certificats de dépôt (négociables), peu de dettes subordonnées, peu d’hybrides.
La structure globale du bilan des banques islamiques génère des risques intrinsèques. En effet, sans accès à des instruments de taux, la gestion de la liquidité des banques islamiques est une gageure.
– La gestion dynamique des bilans, et en particulier l’allocation des fonds propres économiques, est quasiment inexistante au seins des banques islamiques, car: (i) on se situe dans des zones émergentes; (ii) les ratios de fonds propres sont élevés; (iii) les actifs islamiques sont rentables, et (iv) les retours sur fonds propres sont anormalement élevés.
– La gestion des risques de taux (de profit, pas d’intérêt) demeure simple: les murabahas sont à court terme; les ijaras sont re-tarifées trimestriellement. Le partage des profits et des pertes assure une moindre volatilité des rendements sur fonds propres. Peu d’usage de produits dérivés.
– La gestion des risques de change Ce qui prévaut pour les risques de taux vaut aussi pour les risques de change. Cela peut être coûteux.
@ En quoi la finance islamique peut-elle être un levier pour le développement et la lutte contre les inégalités ?
Selon une publication du Groupe de la Banque Mondiale et la Banque islamique de développement Intitulée « Global Report on Islamic Finance — Islamic Finance: A Catalyst for Shared Prosperity? », il ressort que la finance islamique apporte des solutions dans la recherche du développement tout comme de l’inclusion financière.
Dans les faits, la finance islamique promeut une répartition juste et équitable des revenus et de la richesse. Au regard de sa forte connexion à l’économie réelle et en plus de reposer sur le partage des risques, la finance islamique peut contribuer à l’amélioration de la stabilité du secteur financier.
Elle peut également permettre d’intégrer au système financier formel ceux qui en sont actuellement exclus pour des motifs culturels ou religieux.
Contrairement à la finance classique, la finance islamique est basée sur le partage des risques et les financements garantis par des actifs.
Dans la finance islamique, les clients des banques détiennent directement des actifs réels dans la sphère réelle de l’économie, ce qui réduit leur aversion au risque.